Ceux qui souffrent de TOC sévères commencent chaque journée avec une tâche surhumaine qu’ils ne pourront mener à bien. Sans répit ni fin, la bataille contre la maladie, la contamination, la saleté, l’incertitude, le préjudice, le risque de perte de contrôle, aspire toute leur énergie et les mène à l’épuisement.

Pour ces personnes souffrantes, le monde est terrifiant, constamment menacé par des tragédies.

Le TOC a la particularité d’avoir une forte composante comportementale en lien avec des éléments réels de l’environnement (vérifier, laver…). Nous faisons l’hypothèse de l’existence d’un couplage spécifique reliant des caractéristiques spécifiques de l’environnement qui acquerraient le statut de « triggers » tocogènes chez des personnes présentant un rapport spécifique au monde que nous pourrions qualifier de tocifié. Conséquemment, nous faisons l’hypothèse qu’en agissant complémentairement aux approches agissant sur le pôle individu (TCC, ISRS), une action sur le pôle relation à l’environnement pourrait être pertinente. C’est l’hypothèse que nous testons dans cet article sur la base de plusieurs études de cas empiriques chez des personnes présentant des TOC sévères résistants et invalidants. Il s’agit dans cette série de cas de tester l’hypothèse qu’il serait possible de diminuer le retentissement des TOC par des modifications dans l’environnement réel. Ces études s’inscrivent dans une recherche validée par le Comité d’évaluation et d’éthique de l’Inserm (CEEI n° 14-161) qui a fait l’objet d’une déclaration normale à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL n°1761415v0).

Une lecture spécifique du monde

L’étude de Chabris [3] sur le gorille invisible a largement contribué à populariser, montrent que ce qui est perçu par un sujet spécifique en situation résulte de l’interaction entre des propriétés du monde réel et les propriétés des canaux perceptifs du sujet mais aussi très largement de ses attentes, besoins, représentations ainsi que de son état émotionnel. Dans l’expérience de Chabris, seuls les sujets dont le rapport au monde a été préalablement organisé par une consigne spécifique leur demandant de compter les échanges de balles réalisés par les membres d’une équipe habillée en blanc demeurent aveugles au gorille noir qui traverse ostensiblement le terrain. Cette cécité « fonctionnelle » résulte de l’attention sélective portée aux seuls stimuli nécessaires à la complétion de la tâche. La cécité au changement résulte non seulement de l’orientation des perceptions mais aussi des caractéristiques de l’environnement perçu. Nous inscrivant dans cette conception dynamique de la perception, nous faisons l’hypothèse que pour les personnes présentant des TOC sévères, ce rapport au monde est organisé par une « consigne tocifiante implicite » qui implique que les éléments en rapport avec les obsessions et les compulsions de la personne sont préférentiellement recherchés et détectés dans l’environnement et déclenchent les compulsions ritualisantes lorsqu’ils sont identifiés. Les éléments de l’environnement contribuent spécifiquement à la manière dont ils peuvent être perçus et manipulés, caractéristique dont la notion d’affordance cherche à rendre compte [8]. L’affordance capture l’idée que la manière dont nous appréhendons les objets avec lesquels nous interagissons est une propriété émergente [18] de la relation entre les caractéristiques spécifiques des objets et celles de nos caractéristiques perceptivo-motrices, elles-mêmes façonnées par nos attentes, motivations et représentations [3] [15]. Ainsi un objet, une situation, un environnement peuvent-ils être tocogènes pour quelqu’un qui a un rapport au monde tocifié, lors même qu’ils demeureront neutres pour quelqu’un qui n’a pas de manifestations obsessionnelles-compulsives. Symétriquement, un rapport au monde tocifié ne trouvera pas matière à s’instancier dans un environnement ne présentant aucune caractéristique tocogène pour le sujet. C’est du moins l’hypothèse que nous cherchons à tester empiriquement dans cette étude en proposant des dispositifs qui viennent modifier l’environnement réel de la personne et en en évaluant l’effet sur la réalisation des activités perturbées par le TOC. Pour cela, comprendre finement le fonctionnement de la personne en situation est une étape indispensable pour identifier les éléments du couplage personne-environnement sur lesquels il serait pertinent d’intervenir pour diminuer la tocogénéicité de la situation. L’analyse situationnelle méthodologiquement instrumentée que nous présentons dans cet article permet de décrire finement les situations tocogènes et leurs mécanismes, préalable à la conception de solutions tocolytiques, dispositifs qui seraient susceptibles d’en diminuer l’impact.

Les approches thérapeutiques actuellement disponibles agissent sur le pôle personne de la relation personne-environnement en intervenant soit directement au niveau cérébral par 1) une action chimique sur les neuromédiateurs, 2) des interventions mécaniques telles que la stimulation cérébrale profonde, soit au niveau de la réalité psychique ou des mécanismes psychologiques (mécanismes de défense, travail sur les schémas, bais cognitifs, etc.), soit au niveau comportemental en travaillant notamment sur l’exposition, la prévention de la réponse, des stratégies de conditionnement opérant. Modifier l’environnement pour modifier l’impact d’un TOC s’apparente dans cette logique à de l’évitement, mécanisme considéré comme délétère et devant être combattu. Cette logique thérapeutique vise la guérison du TOC logique thérapeutique la possibilité d’agir directement sur les conséquences handicapantes des TOC en situation écologique.

Séance de méditation en pleine conscience

Cette technique thérapeutique de méditation en pleine conscience a de fait trouvé sa  place dans la thérapie. La conception de cette séance a mis en évidence les nécessités de négocier subtilement les solutions envisagées qu’engendre le choix d’une méthodologie de conception participative. La personne présentant des troubles étant positionnée à parité avec les autres membres concepteurs de l’équipe dans la recherche de solutions, ses propositions participent de plein droit à la conception finale. 

Discussion et conclusion

Cette première étude de preuve de concept était destinée, sur la base d’hypothèses théoriques relatives au rôle de l’environnement dans la survenue de manifestations obsessionnelles et compulsives à tester l’hypothèse qu’il était possible de modifier l’impact de TOC sévères par des dispositifs techniques ou technologiques conçus spécifiquement avec par et pour les personnes, en complément des approches thérapeutiques usuelles. Nos premiers résultats montrent qu’effectivement une action concrète sur l’environnement est à même de diminuer, parfois très significativement l’impact des TOC et d’améliorer le fonctionnement et la qualité de vie des personnes.

[2]

la découverte et le développement de la capacité inhérente de chacun à être responsable de sa propre vie. Les gens sont empowered quand ils ont suffisamment de connaissances pour prendre des décisions raisonnables, un contrôle suffisant et des ressources pour mettre en œuvre leurs décisions, et une expérience suffisante afin d’évaluer l’efficacité de leurs décisions. L’empowerment est plus qu’une intervention ou une stratégie afin d’aider les gens à changer de comportement afin d’adhérer à un plan de traitement. Fondamentalement, l’empowerment du patient est un résultat. Les patients sont empowered quand ils ont des connaissances, des compétences, les attitudes et la conscience de soi nécessaires pour influencer leur propre comportement et celui des autres afin d’améliorer la qualité de leur vie » [2]. Au-delà de l’aspect directement fonctionnel des dispositifs co-conçus, le fait d’être intégré dans un processus où le TOC individuel est un objet de recherche alors qu’habituellement il est un objet de souffrance amène la personne vers un changement de son rapport à « l’objet-TOC ». D’objet/victime du TOC, elle devient actrice/transformatrice de celui-ci, opérant ainsi un renversement hiérarchique du positionnement par rapport à son trouble.

LES TOCS SONT DES SYSTEMES RALENTISSEURS DE L’autonomie du sujet.
La préoccupation maternelle est la trace de l’anxiété et la non contenance des figures parentales

Les mots d’un autre client : « J’ai grandi durant toute mon enfance dans une maison sans murs, exposée aux tempêtes de toutes sortes, où les explosions d’angoisse violentes et imprévisibles secouaient la maison et où le froid paralysait tout. Il n’y avait que ma solitude, enroulée dans un coin caché qui me permettait de respirer malgré mes tremblements. Il n’y a que ma solitude qui a pu m’apporter du réconfort. J’ai commencé à lire dans l’immense bibliothèque, un livre après l’autre, depuis le coin en bas à gauche, dans l’ordre. Cela allait de la relativité générale à La Chartreuse de Parme, en passant par les ouvrages du Marquis de Sade. »

29Ici, nous dessinons les contours des voies possibles dans lesquelles l’autre échoue à procurer du contenant au moment d’affronter la terreur et l’incertitude de la vie, mais nous n’irons pas plus loin sans éviter les stéréotypes et la cristallisation de l’expérience. Arrêtons-nous plutôt sur deux phénomènes identifiés de manière évidente : la terreur et la difficulté à concevoir un contenant relationnel. Ces phénomènes soulignent un élément rarement mis en lumière dans la littérature concernant les TOC : la solitude des expériences obsessives. En conclusion, tout en étant capable de décrire la forme spécifique que prennent ces troubles (pathogénèse, voir paragraphe 3), nous ne pouvons ni ne voulons réduire les TOC à des causes spécifiques. Tout ce que nous pouvons faire est l’hypothèse que cette forme de souffrance est modelée par des expériences existentielles marquées par la terreur et le manque d’un contenu relationnel suffisant. Ce manque de contenant reste en mémoire comme l’impossibilité de faire confiance, de compter sur son environnement. La thérapie fournira une nouvelle expérience où le contenant et la confiance peuvent s’éprouver. Je ne le vois pas comme une expérience réparatrice car ce qui a manqué ne peut être remplacé : dans le moment thérapeutique, réaliser la possibilité d’un contenant émerge avec la douleur de ce qui a manqué et cette douleur reste pour toujours (quoique sous différentes formes). Mais une nouvelle expérience de contenant qui procure de nouvelles possibilités est possible pour respirer et être au monde.