Le maniement du transfert négatif et le problème de la soumission dans la clinique psychanalytique
La trajectoire théorique et clinique de Ferenczi
Priscila Frehse Pereira, Daniel Kupermann, Traductrice Mila Signorelli
Le territoire de Ferenczi : les cas borderline
Ferenczi (1931) apporta une contribution importante en introduisant l’idée que l’échec de l’analyse d’un patient présentant un trouble du caractère ne venait pas seulement d’une erreur dans le choix, mais aussi d’un défaut de la technique psychanalytique. Il évoquait ainsi l’idée que la psychanalyse pouvait apprendre à adapter sa technique aux troubles du caractère ou aux cas-limite, sans se transformer pour autant en théorie directive, sans perdre, en fait, son étiquette de psychanalyse. (Winnicott, 1964, p. 95).
Dans cet article, nous limiterons notre recherche à la gestion des cas borderline – d’après le vocabulaire de Winnicott –, et plus précisément aux patients qui ont inspiré Ferenczi dans l’introduction du concept d’élasticité dans la technique psychanalytique. Dans la lignée de nos travaux précédents (Kupermann, 2008 ; Robert, 2015), le point de départ de la présente recherche est l’hypothèse d’un legs ferenczien concernant la distinction (essentielle pour Winnicott) entre le transfert névrotique négatif et la haine des échecs de l’analyste – point central dans l’analyse de patients excessivement soumis, pour qui le travail d’interprétation semble être inutile. Les problèmes cliniques soulevés par les cas borderline sont d’une pertinence majeure pour la pratique clinique contemporaine. En effet, la recherche théorique doit s’articuler avec les questions cliniques abordées par les grands auteurs de la psychanalyse. Ainsi, le présent article tracera les rapports entre le transfert négatif et le problème de la soumission dans le champ transférentiel, en passant par le concept de transfert négatif dans les travaux de Ferenczi. Ceci nous permettra de questionner la position analytique au sein de la pratique clinique.
Soumission et autorité dans le transfert : des prémisses chez Ferenczi
Découvrir Cairn-Pro4Dans la postface du cas Dora (Freud, 1905), Freud accorde de l’importance aux effets hostiles dans le transfert, en affirmant que, s’ils n’ont pas d’espace dans la psychanalyse – et si le patient n’est pas traité par cette dernière mais par l’influence du médecin (par exemple par suggestion hypnotique) –, le résultat est bien souvent une sorte de dépendance aveugle et un lien permanent entre le patient et le médecin. Cependant, même si Freud nous met sur des pistes intéressantes, il n’insiste pas ensuite sur la question dans ses élaborations à propos du transfert négatif. Que ce dernier soit articulé à l’ambivalence (névrose), à la projection (psychose), à l’indifférence (mélancolie) ou même à la réaction thérapeutique négative, le rapport entre le transfert négatif et les problèmes de soumission, de dépendance et d’adhésivité transférentielle demeure une question marginale dans la théorie freudienne de la technique analytique (Kupermann & Robert, 2012).
Découvrir Cairn-Pro4Dans la postface du cas Dora (Freud, 1905), Freud accorde de l’importance aux effets hostiles dans le transfert, en affirmant que, s’ils n’ont pas d’espace dans la psychanalyse – et si le patient n’est pas traité par cette dernière mais par l’influence du médecin (par exemple par suggestion hypnotique) –, le résultat est bien souvent une sorte de dépendance aveugle et un lien permanent entre le patient et le médecin. Cependant, même si Freud nous met sur des pistes intéressantes, il n’insiste pas ensuite sur la question dans ses élaborations à propos du transfert négatif. Que ce dernier soit articulé à l’ambivalence (névrose), à la projection (psychose), à l’indifférence (mélancolie) ou même à la réaction thérapeutique négative, le rapport entre le transfert négatif et les problèmes de soumission, de dépendance et d’adhésivité transférentielle demeure une question marginale dans la théorie freudienne de la technique analytique (Kupermann & Robert, 2012).
En revanche, cette question est présente chez Ferenczi dès le départ. Malgré une trajectoire théorique très proche de celle de Freud – au moins jusqu’à la deuxième moitié des années 1920 –, il est possible de situer le premier lien établi par Ferenczi entre le transfert négatif, la soumission et l’autorité, dans Introjection et transfert (Ferenczi, 1909) et notamment dans Foi, incrédulité et conviction sous l’angle de la psychologie médicale (Ferenczi, 1913). Ce lien sera renforcé durant la production théorique de Ferenczi.
Confiance/méfiance et croyance/scepticisme dans l’analyse sont articulés autour des vicissitudes du complexe d’Œdipe et, par conséquent, en rapport aux formes cliniques que prend le transfert dans la perspective des figures maternelles et paternelles omnipotentes. L’accent sur les problèmes de soumission et de rébellion, de docilité et d’arrogance dans le transfert marquera le début d’une nouvelle route vers l’articulation de problèmes cliniques concernant le transfert négatif. La dimension traumatique y est déjà présente : un dépassement de la limite de l’obédience, dictée par les demandes parentales génère des disruptions brutales du développement psychique (Ferenczi, 1909).
De la technique active à la technique élastique : rapports entre transfert négatif et résistance
Ferenczi commencera à expérimenter avec la technique active – par laquelle il tentera d’encourager l’action du patient – comme un dernier recours aux analyses statiques. Malgré des résultats problématiques, cette phase clinique, articulée dans de nombreux textes de la fin des années 1910 (Ferenczi, 1919 ; Freud, 1919), mettra en avant l’implication (inévitable) de l’analyste dans la clinique psychanalytique.
Dans les situations cliniques concernées par la technique active, les problèmes de soumission et d’adhésivité transférentielle sont soulignés. Les questions émergent du questionnement de cas dans lesquels aucun changement efficace n’a lieu, malgré l’acceptation heureuse des interprétations de l’analyste par le patient. La docilité sans limites, l’inexistence apparente d’affects transférentiels négatifs, demandent de l’action de la part de l’analyste lorsque aucune amélioration efficace ne s’est produite, et ce, malgré l’abondance de matériel interprétatif. La stratégie de Ferenczi, dès lors, consiste à inciter la formation de fantasmes dans l’esprit du patient.
10L’incitation du transfert négatif, créé par Ferenczi, est un exemple clinique paradigmatique. Il s’agit d’un cas où Ferenczi réalise que l’inhibition de l’expression des sentiments est due à l’idéalisation par le patient et un transfert massif d’amitié et d’affection vers l’analyste. Ferenczi décide de mettre fin au traitement – probablement une des techniques actives les plus connues depuis l’usage qu’en avait fait Freud dans l’analyse de l’Homme aux Loups (Freud, 1918), un cas qui n’a rien perdu de son importance pour les questionnements des impasses liées à l’élaboration dans la pratique clinique contemporaine (Kupermann, 2010). Pourtant, cette mesure n’apportera pas les résultats attendus. Au lieu d’une réaction d’emportement, nous observons un adoucissement du transfert plus marqué encore : absence de travail et d’énergie, manque d’affect et des fantasmes affectifs. Ferenczi va plus loin et encourage le patient à créer des fantasmes spécifiques au transfert négatif. Au départ, le patient résiste mais finit par obtempérer et revivre son complexe d’Œdipe complet (Ferenczi, 1924). Ceci reflète apparemment les idéaux de Ferenczi sur la fin de l’analyse et sur la discussion de Freud à propos du transfert négatif non-analysé, présent dans son Analyse sans fin et analyse avec fin. (Freud, 1937).
Suivons cet exemple clinique afin d’essayer de répondre à la question suivante :
Comment Ferenczi a-t-il pu s’autoriser l’usage effronté d’incitation au transfert négatif ?
Une indication se trouve dans Le développement d’une psycho-analyse (Ferenczi & Rank, 1925), publié dans la même année, où il articule les notions de « transfert négatif » et de « résistance ». Mais nous devons en premier lieu situer le contexte de cet article, coécrit avec Otto Rank.
Le texte semble présenter une discussion sur la technique analytique. Outre l’accent mis sur la valeur de la répétition [Wierderholung] (qui justifie l’incitation, de la part de l’analyste, à l’activité du patient comme faisant partie du chemin menant à la remémoration), Ferenczi souligne le savoir excessif de l’analyste comme étant une source de certaines difficultés techniques qu’il avait pu rencontrer au début des années 1920. La discussion que l’on trouve dans ce texte reste pertinente pour la discussion contemporaine, dans les cercles psychanalytiques, sur les effets délétères des dogmatismes théoriques et la recherche permanente de la vérité – ce qui peut faire des analyses, non seulement un processus impossible mais aussi interminable. D’après Ferenczi, une position dogmatique tend à négliger le facteur individuel, c’est-à-dire l’aspect unique de l’expérience analytique : les révélations sur le passé qui se rejouent dans le transfert. Ce point fera l’objet d’élaborations dans l’article de 1913 (Ferenczi, 1913), dans lequel Ferenczi souligne l’importance « d’expérimenter les choses par soi-même », ce qui facilite l’émergence de la conviction à propos d’une analyse. Des explications excessives peuvent clôturer le travail analytique lui-même. Le « fanatisme de l’interprétation » ou plus précisément, le « fanatisme de la traduction » – la recherche de la vérité – nuit au travail et soulève une question cruciale : « l’identification à l’analyste » (Ferenczi & Rank, 1925).
Afin d’aborder cette question, Ferenczi éprouve le besoin d’inclure le travail de l’analyste dans le déroulement du transfert : en effet, l’analyste influence les vicissitudes du transfert et de la résistance en analyse. Ferenczi fait référence aux plaintes des analystes à propos des patients qui présentent trop de résistance, ou des transferts intenses ou excessifs, notamment chez les patients présentant des sentiments virulents de culpabilité (Ferenczi & Rank, 1925). Pour ces patients, l’analyse de la résistance créerait éventuellement une atmosphère propice à l’émergence d’une certaine peur de résister.
Dans ce contexte, nous trouvons probablement la considération la plus explicite, chez Ferenczi, sur le transfert négatif :
Une autre situation analytique que nous avons l’habitude de ranger également à tort sous l’étiquette de « résistance », c’est le transfert négatif. Or ce dernier ne peut manifester sa nature que sous la forme d’une « résistance » et son analyse est la tâche principale de l’action thérapeutique. On n’a pas à craindre les réactions négatives du patient, elles appartiennent au fond de réserve de toute analyse. (Ferenczi & Rank, 1925, p. 40)
Ferenczi joue clairement avec le mot « résistance ». Bien qu’il puisse sembler inapproprié de considérer le transfert négatif comme une résistance, nous ne pouvons pas en parler autrement. Il est important de souligner que Ferenczi semble s’opposer à un certain usage – théoriquement imprécis – de la notion de résistance comme quelque chose qui ne concerne pas l’analyste : « le patient résiste ». En ce sens, Ferenczi est strictement freudien : c’est à travers l’analyse des résistances que le travail analytique a lieu. Dire que le patient résiste n’est qu’un point de départ et ne doit jamais être le point final d’une analyse.
Néanmoins, la définition de la résistance change à ce moment-ci, ce qui indique un virage matriciel dans la gestion du transfert. Le « narcissisme de l’analyste » ou la « résistance de l’analyste », pertinemment soulignés par Lacan (Lacan, 1978, p. 266), devient une composante du jeu analytique. Ferenczi entrevoit la possibilité d’inciter la « répétition » dans le transfert comme une voie d’accès à l’hostilité du patient, jusqu’alors cachée. L’exemple clinique d’incitation au transfert négatif est une simple caricature et, dans ses textes suivants, Ferenczi nous décourage explicitement d’y répondre par des mesures autoritaires. Aussi, comme il l’indique dans Contre-indications à la technique psycho-active (Ferenczi, 1925), l’outil est indiqué dans le traitement de patients « non-psychotiques » et ne présentant pas de menace ni pour l’analyste ni pour eux-mêmes.
9Ces « transferts négatifs », une manifestation de résistance liée au narcissisme, ne seront plus articulés à la logique de la première topique. Avec Freud, la préoccupation de la réaction thérapeutique négative du patient remplace les problèmes du transfert négatif, ce qui implique des conséquences importantes pour la métapsychologie (Freud, 1923). Cependant, Ferenczi insiste sur l’investigation du transfert négatif et son rapport avec la position de l’analyste dans la pratique clinique. Il mettra l’accent sur la théorie de la technique.
La destruction dans le transfert et l’élasticité dans la technique analytique
La technique active laissera une marque indélébile dans le champ psychanalytique, indiquant une « articulation métapsychologique nécessairement intersubjective » (Prado de Oliveira, 2011, p. 25). Ces expérimentations cliniques – la perception des risques qu’ils comportent, leur inefficacité, l’usage clinique de l’autorité dans l’activité de l’analyste mais aussi l’évaluation de la répétition et des expériences vécues [Erlebnisse] dans le travail analytique – déclenchent une série fertile d’investigations cliniques. Le résultat sera L’élasticité de la technique psychanalytique (Ferenczi, 1928), une partie de la trilogie qui marque un tournant majeur dans la théorie de Ferenczi (Ferenczi, 1928a).
En contrepoids au fanatisme de l’interprétation, Ferenczi propose une approche plus proche d’un laissez-faire et crée un espace clinique qui encourage la régression chez le patient et renforce les discussions sur le trauma en psychanalyse. Une telle ouverture sera dans ce cas une nécessité clinique : Ferenczi souhaite que la clinique psychanalytique embrasse les cas les plus difficiles. Le furor sanandi, si nous voulons emprunter la formule freudienne (Freud, 1912), le motive à avancer. Ferenczi souhaite souligner le problème du traumatisme.
L’avancée de Ferenczi lui a imposé de revenir aux premières thèses freudiennes : à la théorie de la séduction et des traumatismes infantiles. […] Sans la refuser entièrement, Freud n’est jamais tout à fait clair à ce sujet : le maternel et le féminin relèvent toujours de l’archaïque. (Prado de Oliveira, 2011, p. 27)
Ferenczi observera que, dans certains cas, une régression découle de l’assouplissement de la technique. Le résultat en sera une répétition réussie, même si l’on considère l’horreur et la souffrance associées. Une fois de plus, le psychanalyste se retrouve face au risque d’une rechute traumatique. Ferenczi est amené, lorsqu’il questionne le sens des plaintes et accusations que lui adressent ses patients dans des moments de transe, à interroger sa position d’analyste. En effet, il se sent concerné par les accusations/reproches provenant des patients. Il est important de souligner que les charges ne correspondent pas à la tonalité du transfert :
Très souvent les séances se terminaient dans une étonnante obtempération, presque impuissante et une propension à accepter mes interprétations. (Ferenczi, 1933/1982, p. 12)
Il observe une dissociation dans le champ du transfert. Aucun indice de contrariété ne se fait jour et, lorsqu’il analyse les difficultés à contredire l’analyste et exprimer de la contrariété ou de l’antipathie, Ferenczi semble avoir trouvé la clef d’une de ses contributions théoriques les plus importantes : le concept d’indentification à l’agresseur.
J’arrivai peu à peu à la conviction que les patients perçoivent avec beaucoup de finesse les souhaits, les tendances, les humeurs, les sympathies et antipathies de l’analyste, même lorsque celui-ci en est totalement inconscient lui-même. Au lieu de contredire l’analyste, de l’accuser de défaillance ou de commettre des erreurs, les patientes s’identifient à lui. (Ferenczi, 1933/1982, p. 198)
La pertinence du concept d’identification avec l’agresseur a été longuement discutée au sein de la communauté psychanalytique (comme l’écrivent Bertrand & Bourdellon, 2009). Avec l’investigation du négatif de « Sa majesté le bébé » de Freud (Freud, 1914), Ferenczi aborde les difficultés psychologiques des enfants accueillis comme des « invités importuns » dans leurs familles. Méfiance, incrédulité, faible capacité fantasmatique et une aversion à la vie sont observées très tôt :
Tous les indices confirment que ces enfants ont bien remarqué les signes conscients et inconscients d’aversion ou d’impatience de la mère, et que leur volonté de vivre s’en est trouvée brisée […]. (Ferenczi, 1929, p. 78).
Face à l’impossibilité d’attribution de sens à des expériences d’excès ou d’abandon, le clivage et l’identification à l’agresseur apparaissent comme une solution possible. Par conséquent, une séparation entre un intellect prématurément développé et l’affect s’opère. En outre, surgit une quête vers un état antérieur de tendresse, de béatitude pré-traumatique (Ferenczi, 1933), dont les nuances révèlent différents montages de narcissisme et masochisme (Bertrand, 2009). Le résultat d’une telle performance adaptative serait une progression traumatique pathologique : la psyché avance dans la tentative de neutraliser le traumatisme mais au prix d’un moi clivé. Ainsi, l’identification à l’agresseur « va constituer un implant destructeur » :
L’enfant intériorise la passion et la culpabilité de l’adulte dans une sorte de Surmoi cruel. Le Moi est pauvre car coupé de ses racines pulsionnelles authentiques par l’identification narcissique ; peu structuré, il est passivé. (Bourdellon, 2009,
Les articulations théoriques autour de l’authenticité et de l’identification narcissique, dans leurs rapports à l’environnement, nos apportent des éléments importants nous permettant de comprendre par quelles voies la haine, la soumission et la passivité se manifestent sous forme de docilité et de séduction. Parseval résume la question en empruntant le vocabulaire de Winnicott :
Quoi qu’il en soit, ce mécanisme de défense court-circuite toute émergence du sentiment de haine vis-à-vis de l’agresseur (« c’est parce que je m’identifie que je ne peux pas haïr »). Plus exactement, l’introjection vient à la place de la haine : la soumission docile à la volonté de l’autre est la transformation ultime de l’agressivité réprimée. (Parseval, 2007, p. 28)
Grâce à ces articulations théoriques, nous pouvons reformuler le problème du « transfert d’autorité » dans la clinique, que l’on trouve dans l’article de Chevert (2013). Dans ces cas, le maniement du transfert doit permettre à l’hostilité de faire surface, ce qui consiste à encourager, soutenir et non pas riposter les agressions du patient :
En maintes occasions j’ai déjà essayé de montrer comment l’analyste dans la cure doit se prêter, souvent des semaines durant, au rôle de culbute sur lequel le patient essaie ses affects de déplaisir. (Chervet, 2013, p. 708-719).
Dorénavant, l’expression « transfert négatif » comme référence à la haine perdra de sa pertinence, puisque l’ambivalence amour/haine, si chère à la névrose, voit ses contours affaiblis lorsqu’il s’agit d’effets déstructurants du trauma. Cependant, Ferenczi maintiendra comme référence « la haine refoulée », impliquant un pouvoir d’adhésion bien plus puissant que celui de l’amour (Ferenczi, 1928, p. 93). Même si cela pose un problème du point de vue métapsychologique, cette référence demeure utile dans le champ clinique où nous pouvons observer combien il est nécessaire que l’analyste sache offrir un espace à la haine, afin que celle-ci puisse être expérimentée.
À ce stade, la question du masochisme s’enrichit d’une articulation explicite avec le traumatisme. Même s’il suit le chemin théorique de Freud afin d’expliquer comment un déplaisir peut devenir un plaisir, Ferenczi considère le masochisme à la fois comme une réponse et une restauration du trauma (comme l’indique Mazaleigue-Labaste, 2011). Dans Notes et fragments (Ferenczi, 1930-32), l’indentification à l’agresseur est l’argument central : le masochiste s’identifie à l’agresseur sadique et consent à son abus. Cependant, en plus du consentement, nous retrouvons par la suite une quête active du déplaisir. Une telle séquence se produit car l’identification est liée à des sensations de plaisir éprouvées dans la soumission masochiste, décrite par Ferenczi comme une curieuse identification à la destruction, capable de transformer la haine dans certaines des formes cliniques que nous essayons d’explorer, et d’expliquer quelques cas borderline où nous retrouvons la présence d’un transfert adhésif.
Pour conclure, Ferenczi défend l’idée que le cadre clinique doit fournir des conditions plus favorables à la répétition que les situations expérimentées par le sujet au moment du trauma. Lorsque l’analyste soutient l’exercice des affects hostiles, il ouvre la possibilité à une différentiation dans la position transférentielle qui lui est adressée, permettant la naissance d’un transfert positif (Ferenczi, 1929). Ainsi, il n’est plus question pour l’analyste de traduire ou interpréter le transfert : le maniement de la technique consiste désormais à soutenir le transfert sans pour autant répéter la position subjective des objets primaires traumatisants.
Il est désormais possible d’évoquer la « bienveillance [Freundlichkeit] maternelle » de l’analyste, qui ne doit pourtant pas être confondue avec la pitié, souligne Ferenczi. Cette « bienveillance » évite que l’enfant se voie seul, « dans la même situation insupportable qui, à un certain moment, l’a conduit au clivage psychique, et finalement à la maladie. » (Ferenczi, 1933, p. 129). Ainsi, les conditions sont créées pour que la peur qui l’avait paralysé, conduit à l’identification et avait provoqué la division (l’enfant est innocent et coupable à la fois), puisse être élaborée. Grâce au transfert, le sujet peut réaliser ce travail. (Ferenczi, 1933)
L’analyse de l’analyste, « deuxième règle fondamentale de la psychanalyse » (Ferenczi, 1933, p. 127), a ses origines dans ce champ de difficultés cliniques. Le Journal clinique (Ferenczi, 1990) est le témoignage authentique de l’effort combiné pour donner d’autres destins au « terrorisme de la souffrance », pour apporter une reconnaissance aux difficultés éprouvées par Ferenczi devant la destructivité inhérente à son travail.
L’élasticité de la technique psychanalytique permet l’intégration de la destructivité dans le travail de désidentification, rendant possible et intransférable la création de nouveaux styles de vie. La perspective ferenczienne contient une mise en garde contre tout usage du transfert basé sur le dogmatisme ou la soumission, et demande une disponibilité affective de l’analyste à questionner à la fois ses idéaux analytiques et ses propres limites. Il s’agit d’une condition indispensable pour que la haine insupportable puisse se vider de ses fonctions narcissiques et défensives, et se métaboliser en force créatrice.