L’interdit d’exister / contraindre l’autre au deuil de soi .
“Claudette Lafond”

À première vue, la proposition peut apparaître étrange, au sens de peu habituelle à notre manière de penser le processus de deuil.

D’autant plus qu’ici le deuil de soi est présenté comme perversion du deuil, provoqué par le « travail du trauma », généré par des circonstances particulières.

Devant une telle configuration pathogène, il devient possible de concevoir la contrainte au deuil de soi, comme destin symptomatique, dont l’appréhension équivaut à une stagnation, une fermeture à la place d’un élan maturatif.

Pour rappel le Moi spécifique c’est d’établir un système défensif et adaptatif entre la réalité externe et les exigences pulsionnelles.

Le processus de déliaison dont il est ici question s’oppose à celui qui concerne le « deuil de

soi-même » (David), le « travail de la mort » (Pontalis) ou encore « S.j.e.m » (De M’Uzan).

Dans ces conceptions, la référence à la mort dans le travail psychique est en effet susceptible de prendre valeur intégratrice. La contrainte au deuil de soi ne se confond pas non plus nécessairement avec un trauma identitaire, même si la persécution s’exprime sous la forme d’une attaque de l’identité et peut mettre en jeu un éprouvé anticipateur d’anéantissement.

Le paradis perdu c’est ce processus du deuil de soi.

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L’idéal auquel je me suis identifié s’écroule. Chute de l’idéal du moi qui devient en quelque sorte une contrainte, un incitatif au refus de soi,

une régression moïque pouvant aller jusqu’au désir de mort. 

L’objet de mon identification étant détruit, mes repères identitaires sont à la dérive.

Il y a toujours la possibilité d’une conservation nostalgique de l’objet idéalisé qui peut prendre la forme d’utopie et porter l’espoir de retrouver un paradis perdu. La posture mélancolique  est reliée  à une l’utopie.Le moi ideal perdu.

La forteresse d’idéalité dans laquelle le moi s’est enfermé est perdue .Cette toute puissance enfantine est souvent conjuguée avec des pulsions meurtrières . Notons ici que cette économie du deuil de soi passe par la destruction de l’autre . L’attachement excessif  à un monde imaginaire suspend le contact avec la réalité 

dévoie le jugement sur un départ protecteur, mais séparateur des objets investis. Ces« dérives » risquées marquent les limites d’un imaginaire du corps, d’un lieu d’éveil de la rêverie ou du rêve, trop ancrés dans le seul espace deuil lluttant contre la  d cruauté narcissique. Vous ajoutez : « Le détour, la patience mélancolique deviennent l’ultime consolation de la blessure du “bonheur désordonné́” de l’enfant, réouverte par l’actuel de l’exilé. »

En définitive, il est exilé de deux paradis perdus : en amont, le paradis de

l’enfance idéalisé, ce qui faisait dire à l’écrivain Hector Bianciotti : « On n’a la nostalgie que de soi tel qu’on s’est rêvé pendant l’enfance », tout comme

il est exilé, en aval, par l’absence du paradis qui aurait dû être institué par le sauveur  figure du pére substitut témoignent de l’empreinte massive du soin maternel, attachement à une altérité́ d’accueil trop matérialisée ou nostalgiquement abandonnée […] (ibid., pp. 94-94).

J’ajouterais que cet attachement à une altérité d’accueil est d’autant plus important qu’il tente de faire contrepoids à l’altérité d’une cruauté narcissique.

Alors, dans ce contexte historique très précis, comment se représenter

le deuil de soi sous la contrainte ? En considérant la contrainte comme un effet du « travail du trauma », le sujet n’est-il pas spolié de ses capacités processuelles ? Un coup est porté, ébranlé, perte de repères, on se protège de la répétition du coup dans un arrêt d’existence, existence suspendue, comme

au cinéma – arrêt sur image. Ainsi, le soi n’est plus la cible du coup. Le soi,

ainsi protégé, est à l’abri des coups externes et internes. Il ne s’agit donc pas de désinvestissement de soi, mais bien d’une stratégie de survie. 

Ainsi nous serions contraints de faire le mort pour rester vivant. Comme s’il était préférable de faire le mort au lieu d’être mort. 

L’enjeu essentiel est l’évitement du coup. Nous ne sommes pas en présence d’un travail de deuil permettant un réinvestissement d’objet ni un mouvement orienté vers le processus d’enrichissement identitaire ou d’un processus de subjectivation, mais d’une forme de sidération pour se tenir en vie, pour ne pas exploser ou imploser sous l’effet

du coup réel ou anticipé.

Par ailleurs, je suis consciente qu’en me situant dans une perspective de survie, j’induis davantage la notion d’autoconservation plutôt que celle de deuil de soi, à moins que l’on considère que la contrainte au deuil de soi n’est pas un processus, mais un acte, un agir sous la motion de la contrainte. Comment

Comprendre cet agir qui s’exprime par une certaine inhibition d’existence ?

J’utiliserai la métaphore de l’acteur au théâtre. Il s’agirait de l’acte d’un acteur de théâtre qui joue dans une tragédie. Il n’est pas l’auteur du texte ni le metteur

en scène, il n’a pas planté le décor, son rôle se limite à interpréter le texte de

L’autre, avec ses ressources psychiques. À l’intérieur de cette tragédie, le travail

Du trauma se déploie. Ainsi, nous pouvons envisager l’acte en tant que mise à jour des pulsions, des fantasmes, des désirs inconscients sous l’influence du

Trauma. L’acteur incarne, en quelque sorte, le désir mortifère de l’autre mais avec sa propre conflictualité.

De ce point de vue, l’autoconservation est superficielle ou à tout le moins insuffisante pour notre compréhension des mouvements intrapsychiques.