Une patiente arrive à sa séance et me dit depuis peu beaucoup marcher et arpenter les rues de la ville, les yeux grands ouverts, les sens en éveil. Elle remarque des choses ignorées d’elle jusqu’à lors qui étaient là mais n’étaient pas vues. En prenant son café à l’habituel troquet du coin, elle a ainsi découvert, en levant les yeux sur l’immeuble d’en face une plaque qui indiquait que louis Pasteur y avait son laboratoire, puis dans la rue adjacente une autre plaque a retenu son attention celle de Gertrude Stein et voilà que arrivée devant mon immeuble sur une poubelle elle aperçoit posée un livre « Un éloge de l’amour » qu’elle s’empresse de prendre.

Je lui suis gré de cette belle métaphore du travail analytique.

L’analysant est donc ce marcheur infatigable de son monde intérieur, qui arpente les rues de son histoire, les squares de ses amours anciennes, voire les impasses de son enfance. Mais si l’analyse se passe bien, si l’analyste sait y faire un peu, l’analysant découvrira de nouveaux territoires, de nouvelles ruelles et de nouveaux raccourcis qui contribueront à transformer son monde jusqu’alors clos sur une tragédie vouée à la répétition, en un univers de possibilités nouvelles. Les lieux si familiers lui deviendront étrangers pour ne pas dire nouveaux et cette étrangeté de son familier lui composera son monde inconscient et dynamique. Et si tant est encore que l’analyste accepte d’être aussi cette poubelle, ce déversoir de la destructivité de son patient, il n’est pas dit qu’un éloge de l’amour comme éloge du lien ne soit pas écrit à deux et à terme.